mardi 6 février 2024

Que m'ont apprises toutes ces dernières années en matière de création musicale ? Au sujet, plus précisément, de ma propre créativité ?

• Que changer de style périodiquement, même (et surtout) radicalement, permet de renouveller son inspiration. Idem pour "changer de nom de projet". Dans l'absolu, même, il ne faudrait faire que des premiers albums, en changeant de genre à chaque fois.

• Que mes meilleurs albums, ou du moins ceux que je préfère, sont ceux qui n'étaient pas prémédités, qui se sont construits en quelque sorte tous seuls, au fil du temps et du hasard. Que je dois m'efforcer de composer, travailler "à l'aveugle", sans préméditer le résultat final, sans penser déjà aux réactions et au discours qui entourera l'album avant d'en avoir écrit la première note ; parce que ça crée plus d'angoisse que de plaisir, et que ça produit des albums plus médiocres.

• Que je peux me tromper longtemps sur la nature de ma propre musique et d'un projet musical en particulier : j'ai par exemple cru jusque récemment que Maelifell avait une identité musicale précise et que  comme je ne souhaitais pas m'y replonger sa discographie était donc close ; il m'a fallu m'y repencher en détail pour réaliser qu'en réalité nous n'avions JAMAIS sorti deux releases identiques du point de vue stylistique, et que donc Maelifell n'avait pas d'identité en dehors du fait d'être le groupe de Xavier et moi. Et donc que nous étions libres. Que ça pouvait continuer.

• Que les "genres musicaux" et les "scènes" sont des prisons. Y appartenir, une castration. Les groupes que j'aime sont ceux qui ont crée leur propre genre (et ont été imités ensuite par des milliers d'autres mais c'est une autre question). Et tout cela, d'autant plus dans la mesure où Xavier et moi avons involontairement "inventé" le dungeon synth avant de découvrir qu'il existait déjà, et que nous avons également "inventé" la musique industrielle avant d'entendre parler de Throbbing Gristle. En toute humilité, nous sommes des inventeurs, pas des suiveurs.

• Que je peux trouver du sens, une exégèse complète, à des albums (comme "Im Kreis der Birken") dont le contenu tient à moitié du hasard de l'impro, à moitié du raclâge de fonds de tiroir. Moralité : je n'ai pas BESOIN de partir d'un concept ou d'idées même en vrac, la musique seule suffit, elle se fait d'elle-même, et j'y trouverai tout le sens dont j'ai besoin, après coup.

• Que mes faibles capacités ET mes choix esthétiques me privent probablement à jamais de tout succès et même de tout respect ; qu'il est probable que l'immense majorité des gens qui tombent sur mes morceaux doivent pouffer de rire ou de mépris. Et que je dois non seulement l'accepter mais y trouver un certain plaisir.

• Que créer comporte une part de magie, au sens fort du terme, et qu'il faut s'attendre à des phénomènes inexplicables comme les synchronicités : ainsi Florence m'avait offert le livre "En Patagonie" de Bruce Chatwin à l'époque où je travaillais sur l'album du même nom, ce qu'elle ne savait pas. De même, depuis 2017, Xavier a involontairement racheté le même 4-pistes Yamaha que j'utilisais à l'époque, et moi je suis tombé "comme par hasard" dans une vitrine sur le magnétophone Grundig que j'avais enfant et sur lequel j'ai fait mes tout premiers enregistrements.

• Qu'être mon premier fan, mon premier critique, mon propre biographe, et qu'écrire au sujet de ma musique comme d'un sujet culturel de premier plan, était tout-à-fait légitime et bénéfique. L'humilité n'apporte aucun plaisir ni aucune plue-value en matière d'art.

• Que mentir éhontément, monter des canulars, verser dans la fiction pure, était tout aussi légitime et amusant. La vie est insuffisante mais l'imaginaire permet non seulement de se consoler mais aussi d'élargir la vie en retour, de créer de nouvelles situations dans la vie réelle. L'imaginaire ensemence la vie réelle.

• Que dans la mesure où j'ai passé près de 10 ans sans faire, quasiment, de musique (entre ma rupture avec Florence et mes retrouvailles avec Xavier) pour m'y remettre suite à un pur hasard de la vie, il est donc impossible de savoir quand sa "carrière" s'arrêtera, ni, quand elle s'arrête, si c'est définitif ou pas. Autrement dit on ne maîtrise pas le fait d'avoir ou non une activité artistique. Ça s'impose à vous ; et ça peut disparaître même si on ne le souhaitait pas.

samedi 13 janvier 2024

J'ai téléchargé un paquet de VST ces derniers jours, avec une petite pointe de nostalgie du début des années 2000, à cause de leur interface parfois grotesquement "science-fiction", qui évoque déjà je ne sais quel rétrofuturisme encore à venir, et parce que j'ai quand même passé quelques années à ne bosser qu'avec ça (parallèlement à mes compos pour Maelifell ou FDS qui elles se passaient entièrement de PC).

Il y a une certaine pureté dans le fait de ne composer qu'avec un PC, un séquenceur, des VST, et éventuellement un clavier maître. J'ai toujours détesté les enchevêtrements de câbles, les mille et un problèmes de branchements, de compatibilité, de réglages MIDI, de latence, etc... De ce point de vue le travail en studio chez Xavier ou chez moi a parfois des allures de supplice.

Les VST ont leurs propres défauts et leurs propres limites, bien entendu – ils sont froids et se ressemblent souvent beaucoup trop, et après en avoir passé X dizaines en revue on est tellement saturé de sons identiques et décourageants qu'on envisagerait presque après soulagement d'arrêter toute activité musicale. Mais je crois quand même en avoir trouvé quelques uns qui me manquaient, en terme de "types de sons", d'ambiances... Notamment d'excellents pads ambient très 90's et des percussions FM mi-tribales mi-métalliques.

L'idée derrière tout ça est de composer avec des sons que j'utilise rarement (ou n'ai même jamais utilisé jusqu'ici) pour me renouveller musicalement et donner naissance à des compos dont je ne sais pas encore, et ne veut pas savoir par avance à quoi elles ressembleront, à quel "style" on pourra les assimiler, si tant est qu'il faille justement s'assimiler à un style ou une scène. Je recherche la sensation d'avancer totalement à l'aveugle, dans l'inconnu, sans aucun déterminisme, sans idée préconçue, sans but.

Depuis un certain nombre d'années j'ai pu constater que mes meilleurs albums, ou du moins ceux que je préfère, sont ceux qui n'étaient pas prémédités, qui se sont construits en quelque sorte tous seuls, au fil du temps et du hasard des découvertes en matière de samples ou de VST ; j'ai la conviction profonde que chaque synthé, chaque banque de samples ou de presets, "contient" en germe son propre genre musical et les morceaux qui y correspondent. Il suffit d'en changer de temps à autres et de se laisser porter ; la musique se crée d'elle-même. Et il est bon de ne pas tout contrôler, de pouvoir être surpris et changé par ce qu'on a soi-même crée ou contribué à créer, comme le simple canal de transmission d'un message venu de Dieu, ou de son propre inconscient, ou de nulle part.

mardi 9 janvier 2024

Les premiers morceaux de Maelifell – ou plus exactement de ce qui allait devenir Maelifell – ont été écrits et enregistrés vers 1994-1995.

Xavier et moi étions encore au collège et écoutions essentiellement du heavy metal, de la cold wave, et Dead Can Dance, que nous pensions unique dans son genre (et de fait, cela n'est pas entièrement faux). Je connaissais l'existence du black metal mais n'en avais jamais écouté.

À la même époque, j'enregistrais également seul, pour un groupe que j'avais appelé Hesperides Garden et qui a connu un maximum de... deux membres. Deux guitaristes, pas de basse, pas de batterie, pas de clavier ; on était encore loin de ce dont je rêvais. Mais il m'arrivait de louer des claviers au magasin de musique local et d'enregistrer des morceaux seul. Certains sont sortis sous le nom Hesperides Garden, d'autres ont fini sur la première démo de Maelifell.

Ce que je veux dire à travers ces anecdotes est que même si Maelifell (je n'ai aucune intention de le nier ou de réécrire l'histoire) a été porté, encouragé, désinhibé par notre découverte du black metal et de groupes comme Mortiis, fondamentalement, nous existions déjà avant de les connaître, nous avions une esthétique propre, des thématiques propres, et notre background vient autant du post-punk et de ses mutations que des mutations du metal (le "dungeon synth").

Maelifell a croisé l'histoire du dungeon synth (tout comme il a croisé plus tard celle des milieux néoclassique / darkwave) mais ne lui appartient pas et n'a pas été déterminé par lui.