mardi 9 mars 2021

Pendant plusieurs années je n’ai pas touché à mes instruments, je n’ai rien composé. Mais la musique me poursuivait dans mes rêves, des rêves qui m’ont suffisamment marqué pour que je les note dans un carnet ; des rêves qui semblaient vouloir me dire que tout n’était pas fini, qu’au-delà de mes désillusions, de mes déceptions et de ma fatigue, au-delà de mon sentiment d’avoir tout dit et d’avoir atteint les rapides limites de mon talent, il existait au fond de moi, dans des strates de mon esprit que je ne pouvais pas atteindre à l’état conscient, une fascination intacte, un désir intact pour la création.

Des rêves où je retrouvais des disquettes perdues, remplies de morceaux inachevés et oubliés de ma jeunesse, qui miraculeusement me reconnectaient à mon passé – et à un avenir. Je les passais en revue sur mon clavier ou dans mon Atari, dans ma chambre d’adolescent, miraculeusement intacte et inchangée, et c’était comme accéder à une sorte d’éternité, un retour non pas au passé mais à une identité profonde qui n’aurait jamais dû cesser d’être.

Des rêves où j’errais dans des villages ou sur la lande, entendant une musique mystérieuse, bouleversante, qui m’échappait au réveil, qui remuait mille émotions enfouies en moi.

Des rêves de villes grisâtres où j’errais pour entrer dans des magasins de musique déserts, obscurs, où je découvrais des machines inédites et fascinantes, parfois des versions modifiées, bricolées, de synthétiseurs ou de boîtes à rythmes que je connaissais déjà ; elles étaient délabrées ou bien recouvertes de poussière et de crasse comme des artefacts exhumés après des siècles d’oubli. Parfois aussi c’étaient des machines impossibles à identifier, préhistoriques et gigantesques comme des ordinateurs primitifs, bardées de câbles et de potards innombrables.

Dans l’un de ces rêves je me trouvais, de nuit, dans l'enceinte d'un lycée ou d’un internat ; de vieux bâtiments avec une cour. Il y avait du monde, comme pour une fête. J’avais entre les mains une sorte de groovebox trouvée dans une salle d’un des bâtiments. Je ne comprenais pas vraiment comment elle fonctionnait, mais j'avais réussi à enregistrer quelques bribes de musique électronique assez primitive, et cela suffisait à m'exciter, à me fasciner. Parvenir à en tirer quelques maigres boucles paraissait plus excitant et mystérieux que n'importe quoi de plus ambitieux fait avec un ordinateur.

Parfois encore, je rêvais d’instruments acoustiques mutants, hybrides, au fonctionnement mystérieux, au son étrange et envoûtant : je me souviens d’un instrument à vent ressemblant à une clarinette, où tout en soufflant on devait tourner une molette pour faire varier la note ; mais aussi d’une sorte de cithare primitive, dont je jouais en m’enregistrant sur une cassette, avec un vieux magnétophone, improvisant longuement sans me soucier de produire des morceaux viables, vendables, audibles par quiconque autre que moi. Ou encore d’un petit studio en sous-sol où je découvrais une guitare et une basse de piètre qualité, me disant que je pourrais malgré tout enregistrer des morceaux avec, et que le son serait probablement catastrophique, mais qu'en le noyant dans la réverbération ou d’autres effets cela pourrait donner quelque chose d’étrange, de minimaliste, de lointain.

L’important n’était pas l’œuvre finale ; c’était la démarche elle-même. Ce retour à la primitivité. Je savais en enregistrant, dans ce rêve, que le son serait épouvantable, mais c'était ce que je voulais ; un retour à mes conditions d'enregistrement primitives d'adolescence et même d’enfance, puisque le magnétophone qui m’avait servi à enregistrer mes tout premiers morceaux, vers treize ou quatorze ans, était aussi celui que mes parents avaient utilisés pour m’enregistrer, tout petit, apprenant à parler. Ce magnétophone me hantait : dans un autre rêve, je me trouvais dans une chambre peu éclairée, comme par un jour de pluie, et j'y écoutais de la musique sur un vieux magnétophone à cassettes, ressemblant à celui que j'avais, enfant – en plus gros, plus primitif encore. La musique était synthétique, très planante, répétitive, hypnotique.

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